Jean-Marie Rouart, de l’Académie française, La Maîtresse italienne, Gallimard 2024.
Le jury du Prix Audiberti 2024 ne pouvait faire meilleur choix. Ce livre retrace en effet le projet d’évasion du « grand proscrit » de l’île d’Elbe qui choisit à la dernière minute d’accoster non en Italie comme tout le monde le croit, mais à Golfe Juan, c’est-à-dire à Antibes, lieu natal d’Audiberti. Il y a là une lignée d’écriture autour de l’histoire.
Avec beaucoup de rouerie Jean-Marie Rouart ne donne pas de nom à son héros quand par ailleurs il nous fait le portrait de tous les intervenants de ce psychodrame : Talleyrand au Congrès de Vienne, Louis XVIII dans son palais, Murat à Naples. Et tous les autres, espions, préfets et femmes. Beaucoup de jolies femmes.
Pour comble, il nous laisse sur notre faim quand par le titre on imagine une intrigue amoureuse, qui n’est pas celle à laquelle on s’attend. La comtesse Miniaci. La polonaise Marie Walewska, « tombée dans ses bras, à Varsovie, en 1807 ». Pauline « le génie de la vie » qui vient rejoindre son frère dans l’île pour servir d’entremetteuse.
Beaucoup de fausses pistes, donc, dans ce roman très documenté qui nous fait revivre les dix mois de Napoléon, du 4 mai 1814, jour de son arrivée sur l’île d’Elbe, au 1er mars 1815 quand commencent les Cent jours.
Le « grand exilé » régit toute l’île rapidement, espère Marie-Thérèse aux prises avec son père, et qui ne viendra finalement pas ; on voit comment il a pris sa décision et comment il conçoit sa fuite.
Pour chacun des chapitres Jean-Marie Rouart dresse le portrait d’un homme en liaison avec son environnement et surtout dans sa relation avec l’empereur de l’île d’Elbe.
Le colonel Campbell capitaine de l’Undaunted, hypnotisé par son glorieux passager et amoureux fou de la princesse Calandrirni dont il attend une nuit, puis deux, voire trois… obsédé par les exactions françaises de Badajoz.
Louis XVIII qui ne comprend toujours pas « ce volcan qui a réveillé le monde » et Bruslart, nouveau gouverneur militaire de la Corse, nostalgique de Cadoudal. Avec eux, le prince de Bénévent, « vieux cygne déplumé », jaloux pour sa nièce, la duchesse Dorothée de Courlande et Charles de Flahaut, son fils illégitime, qui tourne ses yeux vers la petite île.
Entre les deux camps, l’auteur donne des portraits d’espions, tels le chevalier Mariotti, au service de Talleyrand, et Cipriani divulguant la menace d’exil à Sainte-Hélène qui décide le « grand proscrit ». Enfin celui de Murat, « corps puissant mais esprit faible » pris entre sa trahison et son désir d’unification italienne pour sauver son honneur sinon sa vie.
Jean-Marie Rouart n’est pas tendre avec les « élucubrations » de Fleury de Chaboulon, reçu deux jours dans l’île, qui se donne toute la gloire des propos recueillis, mais lui reconnaît cependant le prestige de cet entretien.
Au final, ce livre, pierre importante donnée à la construction du mythe napoléonien, grâce à un style fleuri, une langue sûre dans une brièveté serrée, offre au lecteur une vision assez claire de ce que furent ces dix mois avant les cent jours.
Bernard Fournier, écrivain et membre du Jury du Prix Jacques Audiberti de la Ville d’Antibes et Président de l’Association des Amis de Jacques Audiberti
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