Merci, cinéma ! Merci ! Combien de films, ainsi, déjà, j’absorbai, je pompai, digérant à merveille l’aventure étrangère, gros roi dans un fauteuil et, dans le même temps, traversé de héros et de paysages, les jugeant mais, surtout, les absorbant, les assimilant, les mangeant, coups de poing sans douleur, innocents coups de feu, notre propre monde à nous proposé comme un monde parallèle de pantins identiques à regarder du sein du ronronnant loisir.
Dimanche m’attend, éditions Gallimard, collection blanche, page 18, 1965
Un colossal enfant, voilà ce qu’était Jacques Audiberti… Il découvrait la vie chaque jour, exactement à la manière d’un adolescent que nous regardons avec émotion faire tout ce qu’il fait pour la première fois. Audiberti était célèbre sans l’avoir cherché ; si la vie est une course, eh bien il n’était pas dans la course. Il travaillait énormément, en jouant sur le double sens de l’expression « faire son devoir » car il se voulait à la fois un grognard de l’écriture et un écolier qui doit « rendre son devoir ».
… Chaque fois que, tournant un film, l’occasion m’est donnée de montrer plusieurs comportements masculins à l’égard des femmes, je demande à l’un de mes acteurs de s’imprégner d’Audiberti pour qui les femmes étaient magiques.
Il a écrit son dernier livre, Dimanche m’attend, en sachant qu’il allait mourir, c’est un livre sublime, et, faute de l’avoir sous les yeux, je ne puis citer que de mémoire la phrase où il dit que « les jambes superbes des hôtesses de l’air se disloquent dans les aéroplanes ». Tout Audiberti est ici: la beauté inatteignable des femmes et l’aspect catastrophique de la vie.
… Je pense qu’Audiberti doit être admiré mais surtout qu’il a besoin d’être aimé.
François Truffaut, Approches, janvier-février 1974