Allocution de Notre Président, Bernard Fournier:
« Vous l’ange des anges. Plus je réfléchis à mes amis, plus je pense que c’est vous qui m’avez donné le plus et qui mérite le mieux. […] vous êtes peut-être la plus douée d’entre nous1. » ainsi s’adresse Audiberti dans une lettre de mai 1944 à Hélène Lavaÿsse.
Mais qui est Hélène Lavaÿsse ?
On sait qu’elle est plus qu’une secrétaire pour Audiberti, une amie. C’est véritablement une aide, un second, presque un alter ego. Et pourquoi ne pas le dire, j’évoquerais à son propos le terme de nègre littéraire – pardon « ghost writer » – écrivain fantôme, prête plume.
En effet, c’est elle qui assurait le rôle difficile et ingrat de la première mise au propre. Elle seule pouvait seule déchiffrer l’écriture difficile de l’écrivain.
On sait qu’elle allait pour lui à la Bibliothèque Nationale pour lui trouver les premiers éléments d’un article à rendre.
On sait encore qu’il l’envoyait en enquêtes, comme celle, fameuse, du lavoir pour un chapitre de Carnage.
On voit dans les lettres qu’il lui adresse, à quel point Audiberti s’est appuyé sur elle pour l’aider dans ses très nombreuses recherches, notamment pour Cœur à cuir, L’Effet Glapion, La Fourmi dans le corps ou encore Bâton et ruban : trouver des idées, des découpages de scénario et même l’idée directrice.
Alors Hélène Lavaÿsse était-elle vraiment le nègre d’Audiberti ?
Deux notes ruinent cette question, définitivement : Audiberti lui avoue « À l’issue de mes diverses tentatives autour du thème de la Princesse, j’ai écrit L’Effet Glapion où rien, pas un mot, pas une virgule, ne subsiste de nos recherches. Singulier méandre de la création !2 »
Et cette autre : « Mon article Don Juan3 est paru et aussi celui de la Méditerranée4. Dans l’un et l’autre, seul le déclic rappelle nos échanges5. »
Hélène Lavaÿsse le confirme : « je cherchais pour lui, péniblement, de la documentation historique ; elle lui était indispensable ; il l’utilisait à peine et il me disait que sans elle, sans moi, il n’aurait rien écrit sur tel ou tel événement. »6 « Je savais, poursuit-elle, qu’il ne resterait pas grand-chose de ce que j’écrirais, donc, sans me préoccuper de but à poursuivre, de logique à observer, de style à surveiller, je m’en donnais à cœur-joie, et il le savait, et cela lui infusait la même joie quand il se mettait à l’ouvrage. Mon allégresse, ma facilité, faisaient l’objet de son envie et le stimulaient.7 « Sans vous je n’aurais jamais eu le courage de m’y mettre8 ».
Cela nous rassure : Audiberti est bien l’auteur de ses œuvres.
Il n’en reste pas moins qu’il faut saluer le travail de sa collaboratrice dont Audiberti reconnaissait les talents d’écrivain par ailleurs, auteur de plus de vingt romans, des poèmes et des milliers d’articles dans les journaux.
Et que ce déclic dont il parle n’aurait peut-être jamais eu lieu sans cette compréhension qu’Hélène Lavaÿsse avait du génie de son grand-écrivain.
Alors, nègre ? Non bien sûr, mais stimulant, à n’en pas douter. A coup sûr, l’œuvre eût peut-être été différente.
[1] Lettre d’Audiberti à Hélène Lavaÿsse, mai 1944.
2- Lettre n° 96, d’Audiberti à Hélène Lavaÿsse du jeudi 28 mai 1959.
3-Audiberti : « Don Juan indispensable et grandiose nigaud », in Spectacles, revue trimestrielle des arts de la scène, 4 n° 3, décembre 1958, « Le Mythe de Don Juan », pp. 3-6, repris in La Forteresse et la marmaille, op.cit., pp. 163-175.
4- Lettre 91 de décembre 1958.
5- Hélène Lavaÿsse, « Audiberti trop tôt trop tard »
6- « Comment travaillait Audiberti », Connaissance des hommes, Arts sciences techniques, Printemps 1970, n° 36, par Hélène Lavaÿsse, pp. 4-6.
7- Hélène Lavaÿsse, « Chemin faisant avec Audiberti »