Créé en 1989, le Prix Audiberti récompense chaque année un auteur dont l’oeuvre est en résonance avec l’oeuvre de Jacques Audiberti et fidèle à la culture méditerranéenne. Cette année, il a été attribué à Arturo Pérez-Reverte, de l’Académie Royale d’Espagne, pour l’ensemble de son oeuvre.
Star du roman d’aventures historiques en Espagne, Arturo Pérez-Reverte est l’écrivain espagnol le plus connu en France.
Diplômé de Sciences Politiques et journaliste, il a été grand reporter de guerre pour la télévision espagnole notamment pendant la crise du Golfe et en Bosnie. Il en garde des souvenirs terrifiants, par exemple celui d’un « snipper » choisissant froidement qu’elle serait sa cible. La cruauté était partout et il lui a fallu admettre combien la condition humaine est cruelle et que le grand danger de notre époque est l’oubli. Nombre d’hommes ont vécu des horreurs (guerre d’Espagne, Titanic, sida,…), mais ils oublient et la vie continue dans un perpétuel recommencement. Chacun s’installe dans la tranquillité, oublie et reste calme entre deux catastrophes. Vivre dans une bibliothèque est donc pour Arturo Pérez-Reverte plus qu’un refuge. Ses romans sont une synthèse entre un pessimisme lucide et une allégresse vitale.
Lors de la remise du Prix, le Président du Jury, Didier Van Cauwelart, a rendu un vibrant hommage à Michel Déon, son prédécesseur, durant dix-huit ans, qui lui a cédé la présidence en 2007. Il a rappelé combien cet écrivain aimait les mots et disant que lire restera toujours un rempart contre l’obscurantisme.
Si, au cours de cette remise de prix, il a été beaucoup question de la Méditerranée, berceau culturel commun de la France et de l’Espagne, par contre Audiberti a été quelque peu oublié. Il faut dire que l’univers d’Arturo Pérez-Reverte est loin de celui de l’auteur Antibois. Le choix de cet écrivain érudit et plein d’humour est cependant judicieux. Issu d’une famille de pécheurs Arturo Pérez-Reverte a une passion pour la mer et la navigation.
S’il n’est pas sur son bateau avec lequel il s’est toujours mesuré à la mer, il s’immerge dans son bureau pour y écrire ses romans, entouré de livres et d’armes anciennes dont il fait collection. Il va de soi qu’un de ses auteurs préférés est Joseph Conrad, grand navigateur de par le monde, mais son favori reste Alexandre Dumas dont le style d’écriture est proche du sien et qu’il a lu en français pour en tirer toute la saveur. Francophile depuis toujours, il dit que, pour un Espagnol, la France est la terre d’exil naturelle, une seconde patrie de consolation. Essayer de déplacer le centre de gravité de l’Europe à Berlin lui semble un leurre, pour lui c’est et cela restera la France.
Son dernier livre paru en France, « Deux hommes de bien », transporte le lecteur à la fin du XVIIIe siècle. Deux membres de l’Académie royale d’Espagne doivent rapporter dans leurs pays l’Encyclopédie qui y est alors interdite.
Des routes infestées de brigands et des auberges inconfortables précèdent leur arrivée dans un Paris libertin et culturel. Arturo Pérez-Reverte s’en donne à coeur joie dans son domaine privilégié, entre fiction et réalité historique. Sous la plume de ce francophile, l’esprit des Lumières brille intensément dans ce roman d’aventures où se retrouve la verve épique des « Trois Mousquetaires ».
Plusieurs des romans d’Arturo Pérez-Reverte ont été adaptés au cinéma ou à la télévision. Citons, entre autres, « Capitaine Alatriste » avec Viggo Mortensen, et « La Neuvième Porte » de Roman Polanski avec Johnny Depp, d’après « Club Dumas ». Avec une certaine ironie, il a jugé « pas mal ! » cette adaptation. Il est évident que le livre est toujours trahi par un film, aussi l’auteur doit-il laisser toute liberté au réalisateur.
Malgré un certain pessimisme Arturo Pérez-Reverte est un homme plein d’humour dont il truffe une oeuvre, à mi-chemin entre policier et roman historique avec par ci par là de pertinentes réflexions philosophiques.
Caroline Boudet-Lefort