Notre Président, Bernard Fournier, comme toujours, a ouvert la séance de l’Assemblée Générale 2019 par un texte poétique:
Qu’on observe ici le silence,
Et qu’on révère la présence
De la divinité qui préside en ces lieux,
Elle nous veut tirer des périls de la guerre,
Et malgré plusieurs autres Dieux,
Elle veut que la Paix revienne sur la Terre.
Reconnaissons que cette Paix
Est le plus grand de ses bienfaits.
Non, ne cherchez pas, ce n’est pas un poème d’Audiberti. Ce texte est de René Descartes composé à la fin de l’année 1649, à la demande de la reine Christine de Suède, pour un ballet destiné à fêter la fin de la guerre de Trente Ans.
Ces vers sont repris par Louis Aragon qui les coupe de prose pour un théâtre radiophonique en 1946.
Quel rapport, me direz-vous, avec Audiberti ?
C’est que, deux plus tard, en 1958, à l’initiative du Ministère de l’Éducation Nationale, Audiberti, avec le musicien André Jolivet, travaille sur le projet d’un anniversaire du traité de Westphalie de 1648 et compose un texte qui a pour base le poème de Descartes et qui en reprend le titre La Naissance de la paix. Mais on nous apprend bientôt que ces vers ne seraient pas de Descartes. On ne retrouve pas non plus le manuscrit d’Audiberti. La Paix est-elle donc introuvable ?
Elle fait en tout cas partie des nombreux projets qu’Audiberti a laissé sur son chemin d’écrivain. J’en donne quelques titres dont on notera le comique de certains à côté du très sérieux des autres. Du côté traditionnel on trouve La Rue de Londres, Le Calife, La Tante et enfin L’École des rois. Deux autres plus curieux : Ces maisons, ces arbres… tiré du célèbre poème « Bagnolet » et Mourut naquit… Pour le comique nous avons : Les Couteaux dans le soutien-gorge ; Par le trou de la serrure et Taille-toi crayon . D’autres projets n’ont pas de titres mais sont quelque peu avancés à propos de personnages historiques tels que Trotski, Gengis Khan, Saint Simon ou même Saint Sébastien. Un autre sur la région du Hurepoix, et encore un sur le médicament Cuminel.
On est en droit alors de se poser la question : Audiberti a-t-il jamais écrit ?
Ainsi plus le temps passe, plus je cherche, plus je m’aperçois, que si Audiberti est déjà l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, une bonne quinzaine d’autres sont inachevés. C’est assez impressionnant et ne laisse pas de nous interroger sur sa pratique de l’écriture. On a en mémoire les reproches que les critiques lui font d’ordinaire : logorrhée verbale, prurit ou digressions baroques, etc. Mais là, sans doute n’est pas la question.
L’écriture d’Audiberti a l’intention de s’affranchir des règles de la bienséance littéraire et de ses codes, les lettres d’Audiberti à son ami d’enfance Émile Condroyer le font entendre clairement que depuis le début, c’est-à-dire depuis 1930 : « Remarque, cher vieux, que, le bouquin achevé, on peut toujours lui donner les goûts de l’œuvre prépensée, et considère en outre qu’un véritable lyrique échappe, par la vertu de ses rigueurs vocabulaires, aisément au flatulent, à l’invertébré, au prosaïsme rythmé que mes présentes déclarations, d’ailleurs passablement nébuleuses, semblait vouloir ériger en système. (…) je veux cessant de m’asservir à quelque technique romancière, faire fi des retours, pièges-à-loups, astuces et épisodes autres que celles et ceux que ma plume invente dans sa furie à laquelle je ne demande que de s’abstenir de verser au surréalisme formel. (…) Je ne m’astreindrai plus à raconter une histoire élaborée. »
Il aime, dit-il « ouvrir des parenthèses qui submergent jusqu’au texte par excellence, vital et capital, et font dans l’idée de mon partenaire une greffe plus puissante et plus vivace, laissant loin derrière le point initial et générateur. »
Aussi nous, simples lecteurs, sommes-nous assignés à trouver un mode de lecture qui soit propre à l’œuvre d’Audiberti, qui réponde à son écriture. Si c’est une écriture, comme celle de Montaigne, à sauts et à gambades, alors faisons comme lui et lisons au fil de notre désir dans la liberté qu’offre la paix enfin retrouvée.