Bernard Fournier, Président de l’Association ouvre la séance
Nous célébrons depuis le début de l’année le cinquantenaire de la mort d’Audiberti.
Mais, si l’on sait quand un poète meurt, sait-on quand il naît ? C’est là une question difficile, dont j’ai pourtant peut-être eu réponse au cours de mes recherches.
En effet, la terre a tremblé. La terre a tremblé le jour de la naissance du poète Audiberti. Je veux dire, la naissance du poète et non le personnage physique Audiberti.
La terre a tremblé le 11 juin 1938. L’épicentre a provoqué un petit séisme jusqu’à Paris.
Et qui pouvait le mieux célébrer cette naissance qu’un journaliste ? Et cette journaliste fût la secrétaire du poète, j’ai nommé Hélène Lavaysse.
Je vous donne lecture d’un extrait de l’article qu’elle a fait paraître ce 12 juin 1938 dans L’Eclaireur de Nice:
« Audiberti ne se sent bien en liberté que lorsqu’il est tout à fait perdu au fond de quelque banlieue où il est tombé par hasard, car il était parti pour une autre banlieue, et alors, adieu mon reportage ! Mais il y a un dieu pour les vrais poètes. Voilà un reflet jaune dans ce vert sale et gris d’une eau qui dort. Et ce reflet jaune luit jusqu’à l’or et jusqu’à la lumière des pleins soleils sur du cristal. C’est un mystère. Audiberti n’a plus de regrets pour sa distraction. Il ne fera pas d’article mais une poésie déjà le possède et c’est là ce qu’un vrai poète nomme liberté.
[…]
Cet hiver, il rencontre une petite journaliste sur une piste qu’il croyait découvrir. Ils ne se mangent pas le nez. Tous deux avaient horreur de cette solitude. Ensemble, ils font leur reportage. Mais, de temps en temps, Audiberti sort de son rôle et redevient poète : « Votre manteau est en tapinois : est-ce de la zibeline ? … Il me faut une rime en oute… Ce ciel est un ciel chinois… Maintenant, dans l’espace, il moûte… »
Le bonhomme qu’ils interrogent, derrière son dos, dit à la jeune femme : « Quel brave type ! S’il était plus petit, il serait bousculé dans la rue. Mais il est grand et gros. On croit qu’il est méchant. »
[…]
Il fait sonner les mots pourvu qu’ils soient harmonieux et denses. Et quand on marche près de lui, on sait, s’il ne dit rien, qu’une syllabe le hante, de laquelle, burlesque ou lyrique, précieux ou bien trivial, il va triompher, dans la bonhomie ou dans l’artifice.
Il marche lourdement et voudrait être leste. Mais il se venge de ne pas l’être en avançant dans une sorte d’apothéose intérieure qui écarte délibérément toutes les inquiétudes pour n’éclairer que le souci secret d’une rime que nul avant lui n’aura réussie. Il avoue avec une naïveté ce que les autres ont deviné. Alors une lueur-panique passe dans son regard. Serait-il pareil à la foule ?
Voilà Audiberti, et parisien et antibois, qu’on a comparé à Lucrèce, à Giorgio de Chirico, à Rimbaud, et à d’autres très grands parmi les poètes, que Paul Valéry honore de son amitié, que ses confrères aiment rencontrer parce qu’il est affable, et qui sera ravi que le prix Mallarmé lui ait valu une chronique dans L’Eclaireur que tout le monde lit à Antibes où s’étire sa longue enfance. »
Il fallait que ce fût la terre, pour cet homme charnel entre tous, qui célébrât sa venue au monde.
Est-ce ce tremblement de terre qui a causé la naissance d’Audiberti, ou, au contraire, est-ce la naissance du poète qui a causé ce tremblement ? On se perd en conjectures.