Le mot du Président Bernard Fournier…
Audiberti riait.
Il riait à gorge déployée, de tel bon mot, de telle situation cocasse, de telle allure aperçue, entendue au cours de ses pérégrinations parisiennes ou antiboises. Audiberti riait. « Je dois être le dernier bipède qui larmoie à force de rire. Au cinéma, les films comiques me rendent malade[1] […], je suis sans défense contre les calembours, bons mots et trouvailles ironiques. Je m’en délecte.[1] »
« J’ai entendu ceci qui m’a [fait] rigoler comme une baleine d’eau douce. L’un dit : ‘partir c’est mourir un peu ; l’autre dit : ‘Partir c’est crever un pneu. [2]»
[1] Jacques Audiberti lettre n° 155, 1938 à Jean Paulhan, in Audiberti/ Paulhan, Lettres, Gallimard 1997, p. 276.
[2] Audiberti, lettre n° 34 à Jean Paulhan, début 1935, in Audiberti/ Paulhan, op.cit., p. 73.
« Audiberti riait. Il riait sans pouvoir s’arrêter, secoué des pieds à la tête, vidé, désossé par le rire.[…] le rire, le fou rire, c’était son point faible, son vice collégien. Non seulement les bons mots, les dessins farce, mais il lui arrivait de mal réprimer un sanglot d’hilarité en présence de la bouffonnerie des objets et des lieux à tenir leurs rôles respectifs. Les soudures frontières et transitions au sein de l’univers, il ne pouvait y songer sans se tordre. A contempler, dans un jardin public, la ligne circulaire exacte et sérieuse où un grand couillon d’arbre immobile quitte et rejoint le sol, il frisait la crise de nerf. […] il s’esclaffait à perdre le souffle, prêt à exploser”.[3] »
Outre cette propension au rire, on sait Audiberti gourmand, vorace, comme une espèce d’ogre. Il a talent pour reprendre un terme occitan qu’il a employé pour titre d’un de ses romans. Il a « talent, comme ils disent dans le Cantal, et dans tout l’espace de la langue d’Oc. Talent… Désir… Appétit… J’ai la dent comme on dit dans les bistrots, et dans tout l’argot. J’ai faim.[4] »
On sait aussi que son passé de tourneur lui a donné le réflexe de lire les précipités des agences d’information telle Havas et d’en repérer la situation cocasse. En cela digne émule tant de Benjamin Péret que de Félix Fénéon.
On sait aussi, bien sûr, qu’Audiberti est un passionné du langage et des mots ; des mots d’argot autant que des mots rares issus de tous les dictionnaires.
Alors, quand ces trois « talents », l’appétit, la vie et les mots se réunissent, on peut s’attendre à des réactions surprenantes ;
C’est ainsi que dans une lettre à Jean Paulhan, Audiberti évoque un fait-divers curieux : un homme a retrouvé, dans un pruneau d’Agen, une balle de fusil.
Et Audiberti de s’étonner de la co-existence d’un pruneau dans un pruneau.
Et Audiberti de rire.
Le style d’Audiberti c’est cette intense jubilation, cet extrême plaisir. Le style d’Audiberti, c’est ce coup de fusil, c’est cette situation cocasse, c’est ce jeu avec les mots. Le style d’Audiberti, c’est un pruneau dans le pruneau.
L’année 2017 fut, grâce à Nelly, précisément une année jubilatoire avec le Cahier du Cinquantenaire et de l’Anti-colloque, année jubilatoire avec le lancement du Prix Jeune Audiberti. Année jubilatoire, comme le style d’Audiberti
[1] Jacques Audiberti lettre n° 155, 1938 à Jean Paulhan, in Audiberti/ Paulhan, Lettres, Gallimard 1997, p. 276.
[2] Audiberti, lettre n° 34 à Jean Paulhan, début 1935, in Audiberti/ Paulhan, op.cit., p. 73.
[3] Audiberti, Infanticide préconisé, 1958, p. 17-18. C’est évidemment le héros de l’histoire dont il est question ici, Romain Tapon, dont j’ai changé le nom avec celui de son auteur, tellement les deux en maints endroits de ce roman peuvent se confondent.
[4] Audiberti, Talent, 1947, p. 131.